ven 29 mars 2024 - 15:03

Du danger de l’espérance

Dans la mythologie grecque, au moment de la création des hommes, Zeus fit remettre par Hermès au titan Epiméthée, frère de Prométhée, un cadeau. Et quel cadeau ! La première femme, celle qui avait tous les dons, j’ai nommé, Pandore. Pandore portait avec elle une amphore (que la postérité appela Boite de Pandore), qu’il ne fallait ouvrir sous aucun prétexte. C’est pour cela qu’elle et son époux l’ouvrirent, répandant sur le monde son contenu : l’ensemble des maux affectant l’humanité, à savoir : la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, l’Orgueil, les clips de trap, le parti actuellement au pouvoir et la gestion de la crise sanitaire par notre gouvernement. Seule l’Espérance resta captive dans l’amphore. L’Espérance fait donc partie des maux de l’humanité. Et en effet, pour l’Espérance, on en fait, des bêtises ! En fait, l’espérance et l’espoir correspondent à ce qu’on n’a pas. Ainsi, un malade espère être en meilleure santé, un pauvre aspire à sortir de la misère, un riche à faire plus de profit, pas mal de nos concitoyens à des hommes politiques décents et moi-même à des candidats dignes de ce nom aux prochains scrutins nationaux. Donc l’espérance est l’indicateur d’un manque. Du côté des chrétiens, on en a fait une vertu : l’Espérance, qui fait partie des vertus théologales, ou vertus ayant la divinité pour objet. Bon, quand on est athée, les vertus théologales, c’est un peu abstrait… Mais l’espérance, à mon sens, a quelque chose de vicieux. On espère ce qu’on n’a pas, mais que se passe-t-il lorsqu’on ne l’obtient pas ? Hé bien, on est forcément déçu. Et qui dit déception dit ressentiment.
Or, le ressentiment, comme l’écrit dans son récent ouvrage Ci-gît l’amer la psychanalyste Cynthia Fleury, constitue un danger. Un danger pour l’individu, qui va ressasser sa colère et son dégoût, mais aussi un danger pour la démocratie lorsque le ressentiment devient collectif. Né des déceptions de grandes espérances, il ne peut engendrer que des passions tristes, ce qui à l’échelle collective se traduit par le choix de politiques simplistes mais flatteuses pour les déçus. C’est ainsi que les fascistes sont arrivés au pouvoir en Italie…

Nous sommes donc en danger de ressentiment : un ressentiment fort envers nos élites qui nous ont plongés dans cette crise sans fin, qu’ils ne parviennent à gérer qu’avec des mesures absurdes et autoritaires, le ressentiment de ceux qui se sentent déclassés envers ceux qu’on leur fait prendre pour des privilégiés, ressentiment de communautés les unes envers les autres par identification à des éléments extérieurs (et hors-sujet, mais c’est un autre débat) etc. Il y a aussi le ressentiment qui naît de notre impuissance à lutter contre des projets ignobles et dangereux, capables de remettre en cause la possibilité d’une vie digne sur Terre. Chose étrange, l’un de ces projets se nomme … Espérance. Ce projet, qui doit prendre place en Guyane consiste à y créer une gigantesque mine d’or, avec les conséquences que l’on connaît : destruction de la forêt amazonienne (qui n’a vraiment pas besoin de ça en ce moment), risque de pollution au cyanure et autres cochonneries et bien sûr, destruction de l’écosystème. Un précédent projet au même endroit (Montagne d’Or) avait été stoppé suite à la mobilisation populaire. Bien entendu, les arguments des tenants du projet sont toujours les mêmes : développement du territoire, création d’emplois réservés aux locaux, enrichissement et ce genre de fadaises dignes de promesses électorales. Evidemment, l’histoire a montré que ces espérances étaient toujours déçues, les grands capitaines d’industrie étant décidément incapables de tenir leurs promesses. A croire qu’on n’enseigne pas l’éthique aux élèves-ingénieurs…

C’est quand même intéressant de voir se combiner dans un futur écocide l’espérance et l’avidité que représente la soif de l’or. Et terrible de se dire que nos hommes politiques savent qu’ils vont condamner un territoire à mort pour le profit de quelques uns bien à l’abri, et ce, au mépris de la démocratie. En tant que Franc-maçon, je me sens très déçu et écoeuré par nos politiques, qui montrent une fois de plus leur fidélité à l’industrie et au capital, et pas à ceux qui les ont élus.

En Franc-maçonnerie, nous apprenons à déposer les métaux et nous méfier de ceux-ci, notamment l’or quand celui-ci est fondu sur le sang de ses ouvriers. Ce même or rendait fous les dieux asgardiens, dont Wagner raconte l’histoire dans sa célèbre Tétralogie. Les métaux, et plus particulièrement l’or, nous obsèdent et nous font perdre de vue ce qui est important. Dans ce cas précis, c’est la condition même de la vie qui est menacée par notre avidité. Il ne reste plus qu’à se mobiliser contre ce projet fou… et espérer ! Car « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer », comme le disait le Taciturne.
Il n’y a pas à dire, l’espérance fait bien partie des maux de l’humanité. Factrice de déception, de ressentiment et génératrice de passions tristes, l’espérance nous leurre. Mais pourtant, elle nous pousse à agir, parfois pour le mieux. Alors que faire, puisque nous sommes conditionnés pour espérer ? Peut-être appliquer une maxime plus récente, prononcée dans les années 1990 par André Comte-Sponville, qui venait de concevoir son gai désespoir : espérer moins, aimer plus. Derrière le mot aimer, on peut y mettre beaucoup de choses. La place manque pour toutes les développer, mais j’ai envie de proposer une approche spinoziste à cet aimer : la lucidité. Spinoza nous invitait à la lucidité pour être heureux malgré les circonstances qui nous échappent. Donc, soyons lucides, mais aimons notre réalité, car nous n’en avons pas d’autres. De planète non plus, d’ailleurs. Et, au lieu d’espérer des chimères, accrochons -nous à la réalité, et soyons lucides. C’est le seul espoir contre l’espérance.

J’ai dit.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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