Honteux ! Lamentable ! Minable ! Non, là, ça devient vraiment ridicule. J’aurais aimé voir en ceux qui nous dirigent des Machiavels, des Lannister, des Iago (celui de Shakespeare, pas celui de Disney), des Ernst Stavro Blofeld, bref de vraies figures du Mal. Du Mal, mais avec classe et élégance. Et là, que nous ont concocté les clowns sinistres qui nous dirigent ? Une arnaque digne des Pieds Nickelés. J’aimerais en rire, mais le temps et le contexte ne s’y prêtent guère.
Mais qu’est-ce qui a donc provoqué mon ire, me demanderez-vous ? Hé bien, une de nos affaires politiques. Imaginez un Ministère, son crâne d’oeuf qui le dirige et son armée de hauts fonctionnaires inamovibles et indéboulonnables (j’emprunte cette expression à l’ouvrage de Chloé Morin, les inamovibles de la République). Tout ce petit monde est passé par les écoles d’élites de la République, ou à défaut, les établissements confessionnels avec des gens bien comme il faut. Ces braves gens ont donc une petite tendance à se croire investis de La Vérité, et vont donc tout faire pour imposer leurs réformes, dont, étrangement, personne ne veut. Décidément, le peuple est bien stupide. D’ex-enseignants tout droit sortis de ce que la bourgeoisie versaillaisei produit de pire qui se penchent sur leur malheur et leur proposent une superbe réforme du dernier rite de passage à l’âge adulte : le baccalauréat.
Bon, on passe d’un examen national constituant le premier diplôme universitaire à un machin incompréhensible et inégalitaire, car dépendant en grande partie du contrôle continu. Certes, comme trop souvent dans notre beau pays, la réforme a été imposée depuis le Château sans concertation avec le terrain. Et bien évidemment, les personnes de terrain, notamment les enseignants, ce corps tellement choyé par leur administration (attention, antiphrase), au point que cette dernière les sanctionne volontiers pour le moindre froncement de sourcils, ces gens de peu, donc, n’en n’ont pas voulu. Et les jeunes, si conservateurs, si rétifs au changement, n’en parlons pas.
Je ne sais pas dans quel esprit a germé cette idée géniale, mais une chose est sûre, il circule de drôles de produits dans la rue de Grenelle. L’idée est simple, mais brillante : créer une association lycéenne aux ordres du ministère, qui agirait sur les réseaux sociaux pour répandre la bonne parole, l’évangile selon l’ENA. Le plan était de casser la contestation naissante et rallier les indécis au parti du pouvoir et de la réforme.
Et dire que certains se plaignent de la fin des corps intermédiaires !
Et pour récompenser les braves petits jeunes qui exécuteraient ces basses œuvres, un peu d’argent de poche pour du champagne, des palaces etc. (publique, la maille, hein ? On est dans la Start-Up Nation, il y a des standings à tenir) et bien sûr, des nominations comme chargés de mission.
N’étant pas juriste ni agrégé de droit, j’ignore comment on peut qualifier un tel acte. Mais du point de vue de l’éthique, voire de la morale, c’est minable. Même un crétin comme le personnage de Raoul Volfoni (des Tontons Flingueurs) est capable de plus intelligent et plus discret !
Pourquoi est-ce minable ? Parce que c’est une manipulation grossière sur des esprits en construction, donc très fragiles. Et au lieu de les aider à se construire, dans ce monde que nous rendons toujours plus hostile, nous les méprisons en leur mentant, en les achetant et en les manipulant pour une vulgaire réforme.
Quel exemple offre-t-on à notre jeunesse ? Celui d’un pouvoir ignorant, fanatique et ambitieux, prêt à toutes les bassesses pour défendre ses intérêts de classe. N’avons-nous vraiment rien d’autre à leur transmettre que ce mépris mâté de condescendance, le même que celui manifesté à la jeune Greta Thurnberg ? Parce que le moment venu, ce mépris, ces catastrophes que nous leur laissons, ces avenirs brisés, ces injustices et ce ressentiment que nous leur léguons, tout cela risque de nous sauter à la figure. On n’a vraiment pas mieux à transmettre à la jeunesse que ce cynisme et ce mépris ? Sans rentrer dans les grandes vertus, disons, un peu d’honneur, un peu de dignité, un peu de décence ?
Comment parler de démocratie à des jeunes quand leurs mouvements sont noyautés par des officines du gouvernement ? En allant plus loin, comment parler d’avenir à des jeunes qui se voient parqués dans des filières bâtardes, subies plutôt que choisies ? Encore plus loin, comment parler de futur dans un monde en proie à une crise multiple, engendrée par des années de néolibéralisme irresponsable?
Les fonctionnaires sont régis par la récente loi du 6 août 2018, loi qui inclut une forme d’éthique professionnelle, et qui impose la présence de référents déontologues, et ce, dans le but d’éviter toute action contraire au bien public. Il y est également rappelé l’exemplarité de l’État (ce qui me rappelle un formateur en développement durable qui expliquait doctement ces histoires d’exemplarité administrative dans l’écologie, avant de repartir au volant de son SUV…).
A quel moment tous ces cols blancs se sont dit qu’acheter des jeunes pour en manipuler d’autres n’allait pas contre l’éthique la plus élémentaire ? Ce n’est pas parce que des marques de vêtements, chaussures ou sacs font de même avec des chefs de bande ou des influenceurs de réseaux sociaux qu’il faut se croire obligés de les imiter ! Les idées du privé ne doivent pas être adaptées au public.
Quand l’État se comporte de cette manière (et je ne parle pas des violences policières, désormais visibles), comment peut-on désormais décemment exiger un minimum de civisme de nos concitoyens ?
En tant que Franc-maçon, je me dois de défendre les plus hautes valeurs morales et autant que faire se peut, je tente de les défendre hors du Temple. Mais quand je vois que nos dirigeants en sont à manipuler des gosses pour éviter la contestation (que visiblement ils redoutent) d’une réforme dont personne ne veut, je suis écoeuré. J’ai honte de mon pays, et j’ai mal pour nos jeunes.
Plus que jamais, nous avons besoin d’une vraie éthique, une éthique de bien public, au service d’un réel projet commun. Pas celui que beuglent des démagogues au service des puissants ou d’eux-mêmes, mais une vraie refondation d’un Etat cohérent, réuni autour des valeurs fortes de notre pays, elles-même inspirées par les valeurs maçonniques. Nous avons aussi besoin de faire rêver les jeunes, car ce sont eux qui portent l’avenir, notre avenir. Et sans un peu de rêve, le futur me paraît bien sombre.
Evidemment, cela passe par un minimum de respect (comme ne pas les acheter ou les corrompre), un minimum d’écoute aussi, et bien évidemment, leur donner les moyens de se construire et de s’exprimer. Ce qui passe par un minimum de transmission de savoirs, mais aussi d’éthique, avec un certain souci d’orientation.
Plus que jamais, ne nous laissons plus faire.
J’ai dit.
iAu sens du parti versaillais du XIXe siècle, celui-là même qui a contribué aux massacres de la Commune de Paris, avec d’autres groupes. On pourra se référer à l’ouvrage d’André Combes et Robert Ragache: Commune de Paris : La franc-maçonnerie déchirée, mars-mai 1871