mer 04 décembre 2024 - 09:12

Franc-maçonnerie et management : ressources humaines

J’étais en Loge hier soir et avec un Frère, nous avons évoqué nos déboires respectifs avec nos SRH respectifs. Nous nous sommes aperçus, non sans tristesse, que derrière ces deux lettres se cachait une idée pas très belle. En fait, le syntagme « ressource humaine » a ceci de terrible qu’il réduit l’Homme à une ressource, comme le charbon, le pétrole, l’uranium ou l’eau. En fin de compte, l’utilisation de cette expression, ressource humaine, a un côté anti-éthique kantienne. Il faut savoir que Kant appelait à traiter l’Autre comme une fin et non un moyen. Or, considérer un humain comme une ressource, c’est vraiment le réduire à un moyen, voire au stade d’objet et donc anéantir sa subjectivité. Et pour l’altérité, n’en parlons pas !

D’ailleurs, je suis toujours navré quand je dois donner mon numéro de matricule. Je suis toujours tenté de citer Patrick Mac Gohan dans la série Le Prisonnier, et son célèbre « je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! ». Bon, je l’ai fait une fois, mais devant le regard médusé de la personne, je me suis senti bien seul…

Mon prof de sociologie aimait à dire qu’on était d’abord passé du « gouvernement des hommes à l’administration des choses, puis de l’administration des choses à la gestion de flux ». Je le croyais pessimiste, enfin, selon ses termes « optimiste bien informé », mais en fin de compte, je me rends compte qu’il avait bien raison. Il n’y a plus de « chef du personnel » mais une « direction des ressources humaines ». On passe ainsi d’une personne physique ayant une responsabilité de de commandement à une entité abstraite et désincarnée. Un peu gênant quand on travaille avec des êtres humains, non ?

Si on peut trouver méprisante l’expression « ressource humaine », que dire du comportement des personnes travaillant en ressources humaines ? En fait, j’ai (trop) souvent vu des « recruteurs » très prompts à ne surtout pas répondre aux candidatures. Ni oui, ni non, ni merde. Bon, prosaïquement, si le candidat doit fournir des justificatifs de candidature, comment fait-il ? Mais surtout,  comment doit-il interpréter cet assourdissant silence? Est-il si mauvais, qu’on ne lui fait même pas la grâce d’un non? Ou si banal qu’il en devient insignifiant, transparent et donc oubliable?

A ce propos, en voulant changer de poste, j’ai eu à vivre ces questions très désagréables. Néanmoins, j’ai réussi à décrocher une série d’entretiens qui s’étaient plutôt bien passés, sauf avec la personne des ressources humaines. Bon, ça arrive. Ce qui me laisse perplexe, c’est que c’est cette personne qui a eu le dernier mot. Autrement dit, sur un poste technique requérant des compétences spécifiques, c’est une personne non compétente sur le sujet qui a eu le dernier mot et qui m’a jugé inapte au poste. J’avoue être resté perplexe. Mais au moins, on a eu la décence de me dire qu’on ne voulait pas de moi.
Quelques mois après, j’ai tenté ma chance à un autre poste d’expertise technique. Les entretiens techniques se sont bien passés, la rencontre avec l’équipe aussi. Puis est venu l’entretien avec une personne du service des ressources humaines (oui, je me refuse à employer des sigles dans ma conversation). Un grand moment de neutralité émotionnelle. La personne m’a promis une réponse rapide. Je l’attends toujours. Depuis 18 mois.

Je ne crois pas utile de parler des consultants en recrutement, chasseurs de têtes et autres cabinets de recrutement, qui sont au final plus proches de maquignons, voire de marchands d’esclaves. Ma hernie ne me permet pas de me pencher sur leur cas. Et puis, je n’aime guère les négriers.
En attendant, ces braves gens ne devraient pas oublier que leur gagne-pain est justement constitué des travailleurs qu’ils échangent au mercato comme des marchandises ou des chevaux. J’aimerais voir leur tête quand ils seront eux-mêmes sur ce marché aux esclaves et qu’ils affronteront le même mépris qu’ils auront affiché envers leurs candidats.

Pour la gestion du quotidien, la « culture d’entreprise » a bien sûr, une grande importance, au même titre que les individus. La situation joue aussi un rôle, mais le situationnisme est une autre histoire. On a parfois de drôles de surprise. Ainsi, il y a quelques années, une de mes collègues, qui venait de perdre quelqu’un de sa famille, a demandé un congé de 3 jours au titre du deuil qu’elle vivait pour se rendre aux obsèques (à 900 km, dans un coin sans réelle desserte). Il lui a été répondu par la personne en charge de la gestion, je cite, « qu’elle exagérait un peu ». Ma collègue a dû batailler mais a pu finalement se rendre aux obsèques.

Dans nos Loges, nous recrutons aussi. Mais nous ne faisons pas appel à des consultants en ressources humaines ou de chasseurs de tête ou de tout autre marchand d’esclaves. Nous rencontrons le candidat, en dépêchant des enquêteurs qui produisent chacun un rapport et sur la base de ce rapport, nous votons le passage sous le bandeau du candidat. En cas de vote favorable, le candidat est reçu, un bandeau sur les yeux et doit répondre aux questions des membres de la Loge. C’est très impressionnant à vivre, mais c’est aussi un beau moment de rencontre. Avec les Frères, mais aussi avec soi-même.

Et à l’issue du vote, favorable ou non, nous avons l’élémentaire courtoisie d’en informer le candidat. L’initiation nous rappelle des devoirs éthiques fondamentaux, envers l’Autre, le Frère : bien le traiter, en tant que sujet humain, jamais en tant qu’objet ni moyen mais toujours en tant que fin.

Ce sont peut-être ces vertus qui manquent au monde profane et dont l’absence le rend chaque jour plus triste et plus désagréable : la courtoisie, l’altérité et la fraternité.

Bonjour chez vous !

J’ai dit.

1 COMMENTAIRE

  1. Cette personne n’a pas tout à fait tort… j’ai été DRH et je suis une frangine… Pas facile !!! Que dire pour donner une explication à ce comportement ? Moi même, je n’ai pas répondu à toutes les lettres de motivations… Par contre, après un entretien, j’ai toujours appelé la personne pour lui donner le résultat, ou fait appeler la personne…

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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