sam 23 novembre 2024 - 03:11

Liberté, Egalité, SE-CU-RI-TE

J’étais en Loge hier soir, et à la lecture du courrier, une note transmise par l’Obédience m’a quelque peu agacé (litote). L’Obédience nous informait que suite aux menaces et dégradations subies par les locaux lors des débordements des manifestations de gilets jaunes/black blocs/casseurs, il avait été décidé d’embaucher des sociétés de sécurité pour protéger les locaux et pour ce faire, de demander une augmentation de capitation (cotisation payée par la Loge à l’Obédience).

La sécurité des travaux constitue une part importante du rituel. En effet, en dehors du Vénérable, deux Officiers portent une épée pour protéger le Temple et la Loge: le Couvreur, qui est un portier et l’Expert, gardien du rituel. Dans les rituels, il est écrit que les premiers devoirs des Surveillants sont de s’assurer de la sécurité extérieure du Temple, mais aussi de la sécurité intérieure. L’Expert doit procéder au tuilage des Frères, en leur demandant les mots de passe, signes et attouchement de reconnaissance.

Ces bizarreries de rituel peuvent paraître anodines, mais elles sont l’héritage des siècles passés, quand la Franc-maçonnerie était interdite, voire pourchassée. J’ai participé un soir à une Tenue en dehors d’un temple, dans la cave d’un musée (avec l’autorisation du conservateur, membre de la Loge…), et ce soir-là, les éléments de rituel sur la sécurité, le devoir de veiller sur la porte, de s’assurer que les travaux sont bien à couvert… bref, tout a pris sens.
A ce propos, j’ai dans les archives de ma famille des courriers du sinistre Service des Sociétés Secrètes adressés à mon arrière-grand-père… Ca fait froid dans le dos ! Mais c’est une autre histoire.

En fait, depuis les attentats du métro Saint-Michel, en 1995, nous vivons en état d’alerte permanent : contrôle des sacs à l’entrée de bâtiments publics ou non, fouilles au corps, surveillance accrue. Tout ça ne s’est pas arrangé avec les attentats de 2015. Pire, au nom de la sécurité, nous avons accepté des pertes dans nos libertés fondamentales et individuelles, avec une prééminence de l’exécutif sur le judiciaire. C’est pour notre bien, notre SE-CU-RI-TE, nous martèle-t-on.

Une manifestation lointaine qui risque de dégénérer ? Vite, fermons parcs, jardins et équipements municipaux et tant pis pour les usagers. Un peu de vent, quelques flocons de neige ? Ah Seigneur, mon Dieu ! Vite, fermons les transports métropolitains ! Et tant pis pour les usagers. Un risque de terrorisme ? Et pas assez de policiers ? Embauchons des vigiles privés et accordons-leur des compétences de police tant qu’on y est. Et mieux, armons-les, comme aux States ! Et tant pis pour les usagers. En fait, c’est pour notre bien, pour notre SE-CU-RI-TE.

Bon, concernant les vigiles, je suis très circonspect sur l’utilité de leur poste. Si j’en reviens au Bataclan, comme dans tout concert, il devait y avoir une équipe qui a fouillé les sacs et pratiqué la fouille au corps du public. Equipe qui n’a rien pu faire face au commando. À se demander à quoi peuvent servir ces très désagréables contrôles et palpations.
Dans un registre moins grave, ma collègue de bureau me racontait comment elle s’était fait voler portefeuille et téléphone à la caisse de son supermarché, sous le nez d’un vigile, qui n’a rien fait. Heureusement qu’on nous explique que c’est pour notre SE-CU-RI-TE, sinon, j’aurais de sérieux doutes.

En gros, on doit dans bien des circonstances présenter le contenu de son sac et accepter de se faire fouiller au corps par des individus n’ayant pas la compétence légale de police, ni même la compétence de sécurité… Mais c’est au nom de la SE-CU-RI-TE. Bon, les vigiles commettent un certain nombre d’erreurs de placement qu’une personne malveillante et pratiquant une technique de combat quelconque pourrait exploiter… Mais il paraît que leur présence et leur cinéma qui transforme l’entrée de lieux prestigieux en annexe de boites de nuit méditerranéennes, c’est pour notre SE-CU-RI-TE. Et bien sûr, tant pis pour l’intimité de nos affaires et le droit à la discrétion. Notre SE-CU-RI-TE, me rappelle-t-on. Hum, la méthode Coué ?

Ce qui est amusant, c’est qu’un article publié en 2018 dans le Canard Enchaîné épinglait les dérives, bizarreries et autres manquements de sociétés de sécurité : anciens délinquants qui se sont rachetés une conduite, comportement mafieux, abus de pouvoir, voies de fait etc. Qu’importe si l’on confie des missions de confiance à des individus pas toujours recommandables ni forcément compétents, c’est pour notre SE-CU-RI-TE ! C’est mieux que de ne rien faire, non ? Hum, étrangement, je ne me sens pas vraiment assuré avec ce genre d’arguments…

J’ai parfois l’impression d’observer un comportement religieux envers une idée, une sorte de « religion du risque zéro ». En gros, toute activité humaine doit être sûre, et sécurisée. Pardon, SE-CU-RI-SEE. Ainsi, en raison du risque d’allergie aux œufs, on ne doit plus enseigner la cuisine aux enfants, au nom de leur SE-CU-RI-TE. De même, en raison du risque d’attentat, on crée des attroupements dans des petites rues avec des personnes sur la chaussée pendant la rituelle fouille des sacs, mais on ne doit pas râler ni se sentir offusqué d’être traité au mieux comme du bétail, au pire comme un terroriste potentiel, car c’est pour notre SE-CU-RI-TE.

La moindre manifestation, le moindre événement doit faire l’objet d’un dossier complexe, au nom d’un idéal de SE-CU-RI-TE. Et gare à qui néglige cette question. J’ai ainsi vu un festival de bande dessinée annulé pour une obscure histoire de sécurité et de parking. Bon esprit, on annule une manifestation vieille de 30 ans au nom de la SE-CU-RI-TE, ce qui en dit long sur l’état d’esprit de nos dirigeants. Tant pis pour les retombées touristiques sur ce petit village, tant pis pour l’intérêt culturel et la grande fête annuelle. C’est pour notre SE-CU-RI-TE.
Paradoxalement, les Frères un peu plus âgés encouragent les jeunes à prendre des risques et à ne pas chercher de SE-CU-RI-TE. Donc, risque zéro pour les uns, et risque total pour les plus jeunes ? J’y réfléchirai et commettrai un autre billet avec ma mauvaise foi coutumière.

Par contre, la SE-CU-RI-TE quand on traverse une rue, c’est une autre histoire, visiblement.
En fait, je préférerais qu’on emploie ces vigiles à réguler la circulation, aider les piétons les plus fragiles à traverser et calmer les ardeurs des automobilistes, motocyclistes et cyclistes considérant la route comme leur territoire de jeu et le piéton comme rien. Ce serait plus valorisant pour eux, et pour le coup, une vraie mesure de sécurité, pardon de SE-CU-RI-TE. Ah, on me dit que ça s’appelle la police et que c’est une compétence qui lui est propre. On me dit aussi que comme partout, on manque de personnel pour assurer les vraies missions de sécurité. Ah, flûte alors. Et maintenant ? Faisons comme les Shadoks ! Inventons des machines de pompe et procédures pour protéger notre SE-CU-RI-TE, car « mieux vaut qu’il n’arrive rien en pompant que risquer qu’il n’arrive quelque chose de pire en ne pompant pas » et ainsi faire croire qu’on agit pour la SE-CU-RI-TE.

En fait, j’ai compris quelque chose! Pour être responsable de la sécurité, il faut être timoré ou pusillanime. La femme de lettres Cynthia Fleury dénonçait la fin du courage dans son ouvrage éponyme. Je constate avec peine qu’elle avait bien raison, même si, comme l’écrivait notre Frère Hugo Pratt, « il faut plus de courage pour vivre que pour mourir en héros ». Et avec des dirigeants pétochard, là, je ne me sens pas vraiment en SE-CU-RI-TE.

J’ai dit.

PS : j’espère que le Convent de mon Obédience calmera les plus ultras de la sécurité. Faire ressembler une Obédience à une boite de nuit de Madère, imposer des contrôles désagréables à l’entrée par des individus dont on n’est pas sûr et instaurer un climat de défiance et de ressentiment ? Non merci, même au nom de la SE-CU-RI-TE.

2 Commentaires

  1. Mon TCF:.
    Merci pour votre point de vue et votre éclairage de professionnel. Nul doute qu’il ne faille veiller au moins un peu sur la sécurité, mais autant laisser faire de vrais professionnels, et ce, sans créer de blocages qui engendreraient un ressentiment inutile …
    Bien à vous,
    Frat:.

  2. Lecture intéressante d’un point de vue très différent du mien.
    Qui est bien sur biaisé car je travaille dans le domaine de la sécurité depuis maintenant 36 ans, bref depuis avant que ce soit à la mode…
    Toutefois je comprends aussi que l’agacement peut crée une vision qui m’apparait assez superficielle de la SÉ-CU RI TÉ, et certains arguments m’ont fait rire parce que ce sont des stéréotypes qui colle et qui sont plus ou moins la réalité.
    J’avoue que l’histoire de la chasse gardé de la police est aussi vrai chez vous en France que chez nous au Canada (chasse gardé ou chasse interdite car dans les faits bien souvent ils n’ont pas le temps ni les budgets/effectifs pour s’occuper de plusieurs des secteurs de protection dont ils ne veulent simplement pas lâcher prise pour des raisons obscure (et surtout syndicale à mon avis ).
    Mais bon, mon avis est que la sécurité n’est pas là pour vous empêcher de vivre ni pour brimer les libertés et si c’est le cas c’est qu’elle n’est pas appliquée de façon optimale, c’est comme choisir ou accepté que vos vigiles ne soit que des corps chaud sans compétence aucune en uniformes (ça m’agacerais vraiment aussi de payer un mécano qui connais rien en mécanique)… ici les vigiles on les appelle des Agents ( on a vraiment le souhait qu’ils agissent) et au lieu d’avoir le pouvoir des agents de la paix ils ont le pouvoir du propriétaire qui leur est délégué (un gros morceaux quand on y réfléchit)
    Finalement, comme je suis un Vétéran et un Para, c’est clair que je ne me sens pas visé par l’étiquette de timoré ou pusillanime quoi que j’en connais au moins deux ou trois des responsables de sécurité à qui cette étiquette va comme un gant.
    Espérons que vos vigiles seront au moins des frères et sœur qui était sans emplois et merci pour cette lecture qui fut quand même instructive sur vos perceptions
    Fraternellement
    J’ai dit.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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