mer 24 avril 2024 - 07:04

Les chroniques d’Ascelin: peut-on être fraternel et prendre les transports en commun?

J’étais en Loge hier soir, et comme souvent, pour partir de mon bureau, j’ai pris les transports en commun. A Paris où je vis et travaille, prendre une voiture est en effet un exercice éprouvant pouvant transformer le plus civilisé des hommes en barbare haineux… Je me souviens d’un soir, où faisant une course, j’ai vu le métro 2 bondé, les bus sur les grands boulevards bondés, lesdits boulevards saturés et j’ai supposé que les lignes souterraines devaient être bien pleines aussi. Bref, j’ai pris les transports. Comme à chaque fois, j’ai observé mes semblables. A l’heure de sorties de bureau, beaucoup de gens aux yeux et au visage fatigués, souvent plongés, casque sur les oreilles sur le contenu de leur smartphone, ou plus rarement dans un livre. Tout ce monde en contact involontaire, les gens les uns sur les autres et n’ayant pas d’autre choix que les transports parisiens pour se déplacer. A d’autres heures, ce sont plutôt les fêtards qui vont d’after en before. Et très souvent, juste des gens qui se déplacent… Parfois aussi, des roms qui vont massacrer un instrument de musique et mon audition, parfois des gens quémandant une aumône après avoir raconté une histoire. Et en hiver, des gens qui dorment sur les quais, que les agents de la RATP tentent de réorienter… Bref, un spectacle de la condition des classes moyennes et populaires et des populations marginales. Le spectacle de nos manques de manières et considération, aussi. A ce propos, j’ai eu la chance de voyager et d’observer nos semblables dans les transports. Ainsi à Tokyo, les usagers du métro se mettent en rang et avancent en bon ordre, de même qu’en Allemagne et aux Pays-Bas. En France, c’est tout autre chose : entrer dans une rame relève du pogo ou du wall of death. Nous ne connaissons pas la notion de file d’attente et détestons avoir à attendre. J’avais entendu dans une conférence le sociologue Roger Sue expliquer que notre individualisme français nous menait au paradigme suivant : « chacun s’imagine être quelqu’un ». J’aurai plutôt tendance à être d’accord avec lui. Je crains que notre immense culture française de l’individualisme ne nous pousse à nous croire chacun plus important que notre voisin. Si je voulais pousser plus loin, je dirais que nous sommes dans un cas de rareté de ressources, comme ce que l’homme de lettres René Girard avait décrit après avoir approfondi le narcissisme des petites différences de Freud : l’espace et le temps sont rares et demandés, donc précieux. Notre désir mimétique amplifié par notre individualisme nous pousse donc à croire que nous méritons le temps et l’espace du métro et nous permet en conséquence de justifier ainsi de passer devant le voisin (qui pense la même chose). De la même manière, nous ne supportons pas d’attendre dans la file d’attente, puisque nous sommes quelqu’un et non quelconques. C’est une remise au niveau que notre individualisme nous fait trouver insupportable. 
A ce propos, en Loge, nous utilisons le symbole du Niveau. Kipling écrivait dans la Loge-Mère : « nous nous réunissions sur le Niveau, nous nous quittions sur l’Equerre ». Le Niveau nous rappelle que quelle que soit notre situation sociale (ce qui inclut l’origine, la situation professionnelle, etc.), quelle que soit notre identité, nous sommes tous sur un pied d’égalité. Nous avons tous en Loge, le même âge (3 ans au grade d’Apprenti, par exemple), nous avons tous le même droit à l’expression et à la parole. Nous avons tous aussi les mêmes devoirs, droits et devoirs étant les facettes d’une même obligation. S’imaginer n’avoir que des droits constitue un contresens majeur ! Même maçonniquement parlant. Fort de cela, je déteste cette attitude de gens pressés, qui sautent dans la rame en bousculant d’autre usagers et qui s’imaginent en avoir le droit, au motif qu’il croient être quelqu’un. Je déteste ce spectacle qui me rend toujours un peu plus misanthrope et me fait perdre espoir dans les sociétés urbaines.

Résultat, après ma Tenue, pour conserver mon bel égrégore et la joie spinozienne inspirée par les travaux de ma loge, je suis rentré à pied.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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