ven 22 novembre 2024 - 20:11

Quand le homard fait bisquer

J’étais en Loge hier soir et forcément, au moment des agapes, nous avons évoqué la démission d’un ministre, pincé à cause d’un homardi… La Roche Tarpéienne n’est décidément pas loin du Capitole.
Bien entendu, la dramaturgie est toujours la même : un média montre qu’un homme politique a eu des frais de bouche pharaoniques ou joui d’avantages indus, les tenants du parti opposé en appellent à l’indignité et à la sanction, alors que les défenseurs du mis en cause poussent les cris d’orfraie de circonstance, jusqu’au moment où un autre homme politique se fait épingler et ainsi de suite. Ainsi fonctionne le spectacle lamentable de la vie politique française. On a une petite variation de ce thème : le démantèlement des assurances sociales (santé et chômage) au nom d’une idéologie d’avant-guerre un peu rance. C’est ainsi que nos ministres annoncent sans rire une loi pour la précarité… Loi qui restreint désormais les cotisants d’une assurance sociale obligatoire l’étendue des prestations pour lesquelles ils ont pourtant payé. La fin du solidarisme est en marche, mais je crains que peu de monde ne s’en rende compte, tant nous sommes conditionnés à accepter la perte de certains droits au nom d’un impératif d’économie. Pour le franc-maçon que je suis, c’est une catastrophe. Non pas à cause de la perte d’un acquis social, mais plutôt à cause d’une victoire obscurantiste. Nos dirigeants sont imprégnés de l’œuvre de penseurs réactionnaires plutôt fascisants des années 30, qui estimaient que les avantages sociaux et les assurances sociales allaient créer des profiteurs de la manne de l’argent public. Précisons que lesdits penseurs ne parlaient que des travailleurs, pas des parlementaires ni des gouvernements…

Pour en revenir à notre ministre amateur qui crût que les choses allaient se tasser avec son homard, sa démission montre un signe intéressant. Dans la tradition politique française héritée de la monarchie de la fin de l’Ancien Régime, les puissants et les aristocrates s’étourdissent de fêtes et banquets somptueux, les bourgeois font des affaires et le peuple crève de faim. A en juger par les éditoriaux que je lis et entends à droite et à gauche, il semble que le monde n’ait guère changé. Néanmoins, en dépit de l’offensive toujours plus abrutissante des acteurs de la société du spectacle, j’ai l’impression qu’il y a une exigence d’éthique publique, similaire à celle en vigueur dans les pays scandinaves. En fait, dans les pays du Nord de l’Europe, la vie publique est très contrôlée et les habitants, en raison d’un fait religieux fort, sont très regardants sur leur propre comportement et celui de leurs dirigeants. On a ainsi vu une ministre scandinave contrainte de démissionner de son poste pour avoir payé une barre de chocolat avec sa carte de crédit professionnelle… Prise de conscience éthique ? Sursaut luthérien ? Je ne le crois pas. Je pense plutôt qu’il s’agit d’une saturation. En fait les pouvoirs publics et les politiques imposent depuis des décennies une politique de rigueur et d’économies, qui nous tuent à petit feu. Ainsi, des lignes de train, des écoles, des filières universitaires, des services publics sont fermés ou à défaut, réduits au nom d’économies. Dans n’importe quelle entité (associative, publique ou privée), chaque Euro dépensé doit pouvoir être justifié, contrairement à ce que clament des parlementaires, outrés qu’on ose leur demander des comptes sur l’utilisation de leur budget issu de l’argent public.

En Loge, comme nous sommes des associations de loi 1901, nous avons un compte en banque, un budget, dont une partie est reversée à nos obédiences, qui doivent rendre compte devant les représentants des Loges de la bonne utilisation des deniers des Frères. Les trésoriers doivent également rendre compte de l’exercice financier devant les Frères. Concernant le tronc de bienfaisance, c’est plus compliqué. Le montant est en général connu du Frère Hospitalier et du Vénérable et est utilisé à la discrétion du Vénérable. Il faut évidemment une certaine éthique et une certaine rigueur pour échapper à la tentation de mal utiliser le Tronc de la Veuve. Ethique que la fréquentation des plus hautes valeurs morales nous permet d’atteindre, contrairement à nos hommes politiques.

A propos d’éthique, certaines obédiences ont commis quelques abus de bien sociaux, qui leur ont valu une mise sous tutelle judiciaire, mais c’est une autre histoire. Même un Franc-maçon est susceptible de commettre un abus de bien social. Abus qui peut provoquer un certain ressentiment pouvant amener à la destruction de l’Obédience. Après, les frais de représentation et les frais de bouche peuvent s’expliquer tant qu’ils restent dans un domaine raisonnable.

En fait, quand on explique au personnel d’un service que le budget va être réduit, que le recrutement et les salaires vont être gelés pour faire des économies, il devient alors insoutenable de voir des représentants du peuple se goinfrer à ses frais. Il est aussi insoutenable de demander davantage d’efforts à une population qui vit la réalité du déclassement social et des fins de mois difficiles. Il est encore plus insoutenable de voir des parlementaires, des représentants élus du peuple se gaver avec des fonds publics quand la redistribution des assurances sociales est restreinte arbitrairement, au nom d’un principe d’économie (qui est un vaste mensonge, mais c’est une autre histoire).

On dit qu’un peuple a le gouvernement qu’il mérite. Ainsi lassé des vieux barbons, aveuglé par les sirènes de la nouveauté et ayant cru s’y fier, il finit crucifié.

J’ai dit.

i Vous me pardonnerez les mauvais jeux de mots et jeux littéraires susceptibles fleurir dans ce billet… Pour ma défense, je subis la très mauvaise influence de mon jovial Vénérable bien en chair (bisous JL).

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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