mer 27 novembre 2024 - 04:11

En grève pour (ou contre) le climat

Je rentrais de Loge hier soir quand un livre en vitrine d’une petite librairie a retenu mon attention : un ouvrage sur le phénomène des grèves étudiantes pour le climat, initiées par la jeune militante Greta Thurnberg. En fait, ces grèves sont un phénomène qui se répand à l’échelle européenne : des jeunes adolescents et étudiants boycottent les cours du jeudi ou du vendredi en protestation contre les personnes politiques qui ne mènent aucune action de lutte contre le réchauffement climatique à leurs yeux. J’ignore à quel point leur action est prise au sérieux, mais le chefi de file de ce mouvement, cette jeune Greta Thurnberg a été reçue et écoutée lors de la 24e Conférences des Parties (COP24 pour les amateurs d’acronymes).

Bon, au risque de passer pour un vieux réac ou de faire du mépris de classe, dans le même ordre d’idées, je pensais, pour me mettre au niveau, faire grève contre le froid du mois de mai ou les gelées tardives qui ont détruit une récolte, mais ce ne serait pas très sérieux ! Ou encore me rallier aux pétitions de Vérino contre les gens méchants ou pour les journées de 23 heures, ce qui serait tout aussi utile !
Hum, devant la mine réprobatrice de mon lectorat premier, j’arrête ici la mauvaise foi, qui risquerait de me faire passer pour un vieil odieux réactionnaire (même si j’aimerais bien avoir l’occasion de lire un portrait critique des jeunes meneurs et une analyse critique de ce mouvement, et leurs éventuelles accointances avec des entités de greenwashing).

En fait, ces jeunes gens n’auraient pas entièrement tort, dans le principe. Mais refuser l’éducation, c’est laisser le champ libre aux idées fausses, comme le créationnisme, le platisme, les théories conspirationnistes, le développement durable ou l’intégrisme écologique. C’est aussi se priver de regarder les phénomènes que nous vivons sous un angle plus critique. Parmi ces jeunes gens, combien seraient prêts à renoncer à ce que leurs parents les amènent en voiture chez leurs copains, ou à leurs clubs ? Combien seraient prêts à renoncer à la mode bon marché ? Combien seraient prêts à renoncer à leur smartphone, dont les procédés de fabrication utilisant des terres rares sont extrêmement polluants ? Et combien renonceraient à utiliser les réseaux sociaux, plates-formes en ligne dont les serveurs consomment une quantité énorme d’électricité ? Combien renonceraient à leurs trottinettes électriques connectées pour se déplacer ? Qui renoncerait à Netflix, Spotify, Instagram, Telegram ? Qui parmi nous renoncerait à prendre l’avion pour ses vacances ? Ah, si ces jeunes gens pouvaient lire Jean Ziegler pendant leurs phases d’occupation des amphis, ou imaginer les effets à long terme de leurs idées…

Certains influenceurs un peu démagogues des réseaux sociaux se réjouissent de voir une jeunesse qui sait ce qu’elle veut, confortant les jeunes dans leur mouvement. Je ne les rejoins pas du tout (ce qui confirme que je suis un vieux réac, visiblement). S’il est très bien de combattre pour une cause, il est mieux d’être cohérent. Si ces jeunes gens allaient à l’école, peut-être qu’ils feraient connaissance avec l’œuvre de Simone Weil, qui a poussé la cohérence de ses idées jusqu’au sacrifice, elle. Pour l’anecdote, Simone Weil, agrégée de philosophie a épousé la cause ouvrière en renonçant à sa carrière d’enseignante pour aller travailler en usine. Dans le même ordre d’idées, s’ils ne séchaient pas leurs cours de philo, ils découvriraient la pensée de Nietzsche, qui écrivait dans le Gai Savoir que « la façon la plus perfide de nuire à une cause, c’est de la défendre intentionnellement avec de mauvaises raisons ».

En fait, en tant que Franc-maçon, j’ai une crainte profonde : si ces jeunes gens ne vont plus à l’école, quelle culture, quels savoirs vont-ils recevoir, outre les fondamentaux (lire, écrire, compter, s’exprimer) ? Les vidéos YouTube d’influenceurs ? Les publications de n’importe quel charlatan ? Aller à l’école, c’est (en principe) apprendre à exercer son esprit critique, dialoguer avec respect avec autrui, respecter le tiers-médiateur représenté par l’enseignant, bref, vivre en société. Certes, en France, nous avons très sévèrement abimé cette vision de l’école, contaminée par les idées des penseurs post-Mai 68. J’en veux pour preuve que la génération qui a suivi la mienne ne sait ni lire ni écrire. Mes yeux saignent quand je vois les messages traduisant le niveau d’orthographe ou de grammaire de mes jeunes collègues. L’apprentissage de la grammaire était en effet proscrit, au motif qu’il conditionnait l’enfant au geste répétitif de la condition ouvrière… Certes. Certains ne se sont pas remis de leurs prises de substances hallucinogènes, visiblement.
Et mon cœur et mon esprit saignent encore plus quand je vois le niveau de culture générale baisser drastiquement, alors que le niveau d’ignorance augmente. Pour le franc-maçon, l’ignorance, le fanatisme et l’ambition sont les trois mauvais compagnons de l’homme. L’ignorance mène à la violence, puisque l’ignorant ne peut pas s’exprimer avec des mots qu’il ne possède pas ou qu’il ne comprend pas. L’ignorance mène aussi à la croyance, sans esprit critique, qui elle-même mène au fanatisme. Les auteurs de dystopie ne s’y sont pas trompés : dans leurs créations de régimes totalitaires, le peuple est toujours maintenu dans une bêtise et une ignorance crasses afin de l’empêcher de se révolter. Relisons Orwell (1984) ou Zamiatine (Nous Autres). Avec le nivellement par le bas des exigences scolaires, nous tendons vers la formation de citoyens techniquement compétents, mais culturellement ignorants, donc susceptibles de suivre n’importe quel régime sans trop se poser de questions…
Avec l’ignorance, pas d’esprit critique, donc impossible de différencier croyance de connaissance et de nuancer sa pensée, ce qui ouvre la voie au fanatisme. Enfin, la combinaison de l’ignorance et du fanatisme ne permet pas d’avoir une bonne image de sa réalité ou de soi et pousse à aller plus haut, plus loin et plus vite sans produire l’effort nécessaire pour le faire. C’est l’ambition, et les ambitieux ne finissent pas toujours bien. Regardez Iznogoud, Macbeth, les Lannister ou toutes les tragédies grecques…

Et c’est bien ce que je crains : une génération de mauvais compagnons, devenus comme tels avec les meilleures intentions du monde… Une génération d’enfants gâtés, estimant n’avoir que des droits, mais pas de devoirs, et estimant tout savoir parce qu’elle visionne les vidéos de tel ou tel vidéaste sur les réseaux sociaux. Le hic, c’est que droits et devoirs sont indissociables, « deux facettes d’un même phénomène », comme l’écrit si élégamment Simone Weilii. La jeunesse a le droit à l’éducation, mais elle a le devoir d’exercer son esprit critique et de s’interroger. Et pour ce faire, il n’y a guère d’autre choix que d’aller à l’école pour apprendre à douter, ou mieux, à discerner. C’est ainsi qu’on apprend qu’une hypothèse n’est pas un fait, que croyance et connaissance sont deux choses très différentes, ou encore que vérité et vraisemblance ne sont pas du tout la même chose. Avec un peu du discernement qui leur manque, peut-être que ces jeunes se rendraient compte que le problème dépasse le simple enjeu politique, et qu’il y a bien plus de variables qu’on ne le croit.
Nous autres Francs-maçons sommes privilégiés pour le discernement : le doute est la base même de la démarche initiatique. Le travail symbolique nous oblige à réfléchir, interpréter, reformuler, accueillir un point de vue différent du nôtre. Nous sommes donc très dangereux pour tout régime totalitaire (ce n’est pas pour rien que les extrêmes de chaque côté rêvent de nous interdire, voire de nous supprimer).

Néanmoins, pendant que je glose, les usines, les entreprises continuent allégrement de détruire l’environnement, en produisant des tonnes de déchets, en dégageant des gaz ou des boues toxiques à une toute autre échelle que les simples citoyens que nous sommes, et ce, avec la bénédiction des pouvoirs en place et des lobbies divers. Nous sommes les complices volontaires ou non de cette destruction puisque nous sommes conditionnés à consommer les biens et services produits par cette industrie, qui joue sur nos failles narcissiques pour mieux forcer notre consentement à acheter. Que faire ? Je ne sais pas. La seule chose que je sais, c’est que le politique ne bouge que s’il est en tension. Plutôt que boycotter ou sécher les cours, pourquoi ne pas créer une tension en séchant sur le très long terme les sessions shopping ou se déconnecter des réseaux pour ne pas alimenter l’industrie? Pourquoi ne pas militer contre les écrans de publicité qu’on installe à droite à gauche et qui consomment pas mal d’énergie ? Pourquoi ne pas boycotter l’industrie agroalimentaire en réapprenant à faire la cuisine et en consommant local ? Si je devais résumer, le mal qui nous consume est la consommation, donc l’accumulation de biens matériels (l’avoir). Pourquoi ne pas s’en désintéresser et se tourner vers l’esprit (donc l’être)? Encore la dialectique de l’équerre et du compas, me direz-vous. En effet, je pense que nous avons atteint un point critique où l’esprit doit dominer la matière et se débarrasser des métaux qui nous empoisonnent. Et quoi de mieux pour s’élever que l’école ? Une vraie école qui nous apprenne non pas à être de bons petits consommateurs, mais bien à être libresiii ?

J’ai dit.

i Note à l’intention des féministes : je fais partie des gens qui utilisent le genre neutre pour les fonctions, plus correcte qu’une féminisation absurde pour un mot d’origine non latine ou grecque. Je parle donc de chef indifféremment pour un homme ou une femme.

ii Si personne n’a encore compris, j’aime beaucoup l’œuvre de Simone Weil.

iii Réapprendre les bases (lire, écrire, compter, s’exprimer) et les arts libéraux (grammaire, rhétorique, dialectique, géométrie, arithmétique, musique et astronomie) pourrait être un bon début, non ?

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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